Design & démarches collaboratives

Blog

Civic City. Notes pour le design d’une ville sociale.

Civic City. Notes pour le design d’une ville sociale.

Cet ouvrage, publié en 2017 sous la direction de Jesko Fezer et Matthias Görlich, est construit comme une collection d’essais critiques de différents auteurs, théoriciens, designers, enseigants,.. qui se questionnent autour du rôle du design dans le développement de l’espace urbain.
Beaucoup de sujets y sont abordés sur le rôle politique du designer, l’éthique du design, mais aussi plus largement autour de la ville néolibérale.
Pour ma part, c’est particulièrement la notion de “responsabilité du designer dans la société” qui aura retenu mon attention à cette première lecture, et c’est sous cet angle que je vous partage mes quelques notes et vous invite à découvrir cet ouvrage.

  • Choisir son camp 

    À travers son essai « Les mouvements sociaux dans la ville (post) néolibérale. » , Margit Mayer interroge le rôle des designers dans la conception de nos ville face à la privatisation de l’espace public * . Dans un contexte de commercialisation de l’espace public, d’intensification de la surveillance et du contrôle de l’espace urbain, de mise en concurrence des villes avec des quartiers entiers laissés pour compte, quelle posture le designer peut-il -voire, se doit-il- d’adopter ? Quelles conclusions peut-il tirer des luttes comme le « Droit à la Ville »  d’Henri Lefebvre et de celles qu’il a inspiré ?

    Pour Mayer, les designers «  ne devraient collaborer à aucun projet favorisant l’élaboration de nos villes néolibérales, comme les centres commerciaux [ et tout autre projet qui ] contraignent ou détruisent l’espace public. Ils ne devraient pas non plus participer à la conception d’un espace urbain qui restreint la contestation citoyenne ou exclut les groupes marginaux [ On pensera notamment à la conception de mobilier anti-sdf ]. » Plus loin dans l’ouvrage, Jesko Fezer nous rappelle d’ailleurs les propos de l’urbaniste Peter Marcuse pour qui, le plus important est la façon dont nous choisissons nos clients, car il ne croit pas « qu’il soit possible de changer McDonalds », ou encore, ceux du designer Enzo Mari pour qui il est impensable de collaborer avec des entreprises comme Ikéa dont « les produits sont bon marché à cause du sang du peuple. »
    Fezer s’interroge sur la notion du refus du designer à collaborer à un projet : «  Que signifierait donc ne pas s’engager dans un projet de design ? Ne pas faire de design pourrait-il constituer une mission pour les designers ? ».

  • Repenser nos moyens d’action

    Pour Margit Mayer, il semble indispensable que les designers « utilisent leurs outils, leur savoir-faire et leur influence pour défendre et protéger un accès radicalement égalitaire au droit à la ville, que ce soit en matière d’espace public, de logement abordable, ou de toute autre valeurs d’usages que nos villes peuvent apporter à ceux qui y habitent. » Pour elle,  cela se traduirait soit par « la protection de ce qui est menacé par les politiques de développement néolibéral » ( privatisation, gentrification,..)  ; ou par la mise en place de « nouveaux modes alternatifs de planification, de construction et de conception, non-fondés sur l’hypothèse de la croissance continue, et visant plutôt à offrir un cadre de vie durable et égalitaire à tous, pas seulement aux clients les plus aisés. »

    Mayer alerte cependant les adeptes de la ville créative sur le fait que «  Les mouvements urbains doivent être conscients que les lieux libérés [ friches réhabilitées, urbanisme provisoire, etc.. ] sont plus que jamais susceptibles d’être (ré)absorbés par la pratique dominante. » Car « le néolibéralisme a souvent réussi à détourner et à intégrer les revendications et les propositions oppositionnelles et contestataires au sein de son propre régime. »

    Réagissant à cette mise en garde, Jesko Fezer estime également que « les designers ne peuvent plus s’appuyer avec optimisme sur les stratégies existantes comme les démarches participatives, coopératives et réformistes  » car ces démarches, bien intentionnées, risqueraient de se voir intégrées au système actuel, en ayant tendance à « ignorer les politiques économiques fondamentales qui entraînent systématiquement exploitation, pauvreté et exclusion et provoquent ainsi ces mêmes défauts qui rendent le combat pour la ville si urgent ». En effet, pour lui, les designers «  rattachent probablement leurs actions à leur propres milieux socioculturels », initiant souvent des projets autour de l’émergence de la Ville créative et accentuant le processus de gentrification. Il rappelle qu’aujourd’hui , dans les métropoles occidentales, la créativité est de plus en plus instrumentalisée comme un impératif économique et sociale, montrant une fois de plus la capacité du néolibéralisme à absorber ces démarches «  au sein de son propre régime ».

  • Le design au service de

    Gui Bonsiepe, designer et enseignant, regrette quant à lui que le design ce soit de plus en plus éloigné de l’idée d’une « solution intelligente à un problème » (James Dyson) pour jouer le jeux de l’hyper-consommation , de la mode et de l’esthétique avant l’usage. Il note d’ailleurs que « la manipulation et le design ont un point commun : l’apparence. »
    Face à ce constat il en appelle à un design humaniste qui consisterait à « utiliser les activités du design afin d’interpréter les besoins de groupes sociaux et de développer des propositions émancipatrices viables sous la forme d’artefacts matériels et sémiotiques. » Il insiste sur la notion d’ émancipation car, pour lui, l’humanisme implique la réduction de la domination. 

    Bonsiepe s’interroge sur les moyens d’encourager une conscience critique face « au déséquilibre colossal qui existe entre les centres de pouvoir et les individus soumis à ces pouvoirs. »  Pour lui, penser le design comme un outil garant de la démocratie, demande avant tout d’arrêter de « traiter  les êtres humains comme de simples éléments au seins du processus d’objectivation et de marchandisation. »

    Plus loin, Tom Holert considère que le designer devrait « accepter sa condition d’outil et oublier ses aspirations à voir son travail considéré comme de l’art. » Pour lui, cette reconnaissance « implique que le design se produit essentiellement dans des assemblages ou des réseaux hybrides d’acteurs humains et non humains, individuels et institionnels, et non dans la solitude exclusive d’un studio de design imaginaire. »

    Tout au long de l’ouvrage, la responsabilité du designer est reconsidérée, ses moyens d’actions interrogés. Il me parait être un incontournable de nos bibliothèque pour prendre le temps de cette réflexion : à quel genre de société et de ville avons-nous envie de contribuer ? Et comment ? Comment ne pas tomber dans le piège de penser la ville pour et non avec ? Comment se mettre au service de sans entacher nos outils de nos préjugés, de nos visions liées à nos propres milieux socioculturels ? Un bon design est-il, comme le propose Fezer, de “ ne pas faire de design “ ?





Marie Hauchecorne